Qui sommes nous face à la Nature ? C’est une vaste question et tout dépend du « nous ». Seulement, nous à Spéléo Canyon Ariège, on est bien obligés de se poser la question en tant que professionnels de l’outdoor en France aujourd’hui.
Pourquoi partir à la conquête de sommets ? Pourquoi les Tenzing et Hillary sur l’Everest ? Que vient on donc faire dans cette Nature ? Les conquérants de l’Inutile, au bout d’une corde dans un canyon. Tout ça pour aller voir ce qu’il y a derrière ce rocher, derrière cette cascade, dans cette gorge que la terre a creusé, quels trésors y a t’elle enfouis ? La curiosité est une belle façon de s’excuser face à notre intrusion dans la Nature. Face à la montagne, comment résister à l’envie de découvrir, de connaître ce monde mystique qui n’obéit qu’à ses propres lois ? À certains endroits sur cette terre, la Nature reste sauvage, difficilement accessible, insaisissable. C’est ce qui fait son charme. On n’y est pas forcément le bienvenue et il faut faire attention où on met les pieds, c’est pour ça qu’on l’aime bien cette Nature. Et c’est parce qu’elle n’obéit pas aux Hommes et qu’elle se débrouille très bien toute seule qu’on ne devrait pas y toucher. Mais peut être pouvons-nous être de discrets visiteurs de passage ?
L’activité canyoning est, comme beaucoup d’activités de montagne, teintée de ses propres contradictions. Quelle empreinte laisse t-on ? Quelques plaquettes vissées dans la roche ne vont pas défigurer complètement un canyon. Mais qu’en est-t-il de ces canyons surpeuplés où les professionnels se disputent le terrain ? Quand une dizaine de boite passe deux fois par jour dans le même canyon avec dix clients à chaque fois, quel impact sur la flore et la faune ? Il est difficile de dire que ça va être positif. On déforme des lieux de vie de certaines espèces, on les chasse probablement vers des lieux plus calmes. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux stations de ski. Quel désastre écologique. On n’a plus de neige ? On en transportera en hélico. Comment en arrive t-on à cette contradiction poussée ? Sans parler du côté social. Une semaine en station pour une famille de quatre coûte plusieurs milliers d’euros. On se pare de ses plus beaux équipements de marque et la démocratisation de l’activité entraîne une augmentation de l’accidentologie. Mais tout le monde n’a pas les moyens de se payer le luxe de l’or blanc. Peut-il en être de même pour le canyoning ? C’est à nous, professionnels de l’outdoor, que revient l’obligation de dire non. C’est nous qui avons les clés pour faire de cette activité une pratique saine en pleine nature. En travaillant ensemble, entre professionnels, localement. En limitant la taille des groupes. En insistant sur la pédagogie et l’enseignement, en faisant en sorte que le client devienne un stagiaire. Vous donner conscience de l’activité, de ses risques et de ses enjeux. Non, nous n’évoluons pas dans un terrain conquis, on n’est pas à la maison, ce n’est pas un jeu vidéo. Maîtriser les risques, effectuer sa descente en sécurité, c’est ce qui donne ce sentiment grisant de s’être surpassé mais pas d’avoir dompté la nature. La nature, elle, elle s’en fout.
La Nature gagne toujours. Elle nous le prouve à Tchernobyl où les loups traversent une ville envahie par les plantes. La Nature, cette entité à part de l’être humain, n’a pas besoin de nous. Mais nous avons besoin d’elle. La Nature non seulement nous fournit notre alimentation vitale mais elle nous ressource. Chacun a besoin de se mettre au vert de temps en temps, surtout quand quatre-vingt pour cent de la population française vit en ville. Et ça fait du bien de ne pas être à la maison, d’être face à l’inconnu, de se sentir tout petit. La source de la vie se trouve en pleine nature, pas dans un supermarché. Nous sommes visiteurs dans cette Nature sauvage, on peut passer sans laisser de trace, sans laisser de morceaux de PQ derrière les arbres. La Nature ne peut nous inspirer que du respect car elle nous rappelle qu’il faut être humble dans la vie. Respecter la Nature, c’est la connaître pour ne pas la détruire. Elle a beau être la plus forte, la nature est composée de plein d’éléments qui ne sont pas éternels.
Ce sera notre message cet été à nos stagiaires. Nous sommes des enseignants de l’outdoor, d’humbles visiteurs de la Nature, qui veulent partager leurs connaissances et leur amour de la Nature. Parce que le partage d’une passion ne s’improvise pas.